TRANSMISSION D'ENTREPRISE
SACHEZ ANTICIPER !




De l'avis de tous les spécialistes, la transmission d'entreprise est une phase très délicate qui, si elle est mal préparée, peut avoir des conséquences désastreuses. Chaque année, de nombreuses PME courent le risque de déposer le bilan. Pourtant, les clés de la réussite tiennent en un mot : l'anticipation.

Une transmission se prépare le plus tôt possible. Dès l'instant où l'on crée une entreprise, il est sage de prendre des mesures provisoires pour parer un accident. Mais en tout cas, autour de la cinquantaine, il est impardonnable de ne rien faire du tout " insiste Me Ferret, notaire dont l'office réalise entre 5 à 15% de son chiffre d'affaires sur ce créneau. Car préparer la succession, c'est avant tout assurer la pérennité de l'entreprise, en allégeant considérablement le coût fiscal et en facilitant le partage entre les héritiers.

Ne pas s'exposer aux dangers d'une succession subie
A quelques rares exceptions près (lire ci-contre l'interview de M. Sabaté), une succession subie a de fortes chances de fragiliser l'entreprise. En cas de décès du dirigeant, cela revient à exposer les héritiers au régime de l'indivision qui suppose que tous s'entendent sur les décisions de gestion et d'administration. La voie ouverte à de profondes mésententes... Mais le problème s'aggrave encore si l'entreprise représente l'essentiel du patrimoine du défunt : il est alors impossible de l'attribuer à l'un des enfants sans que celui-ci n'ait à indemniser ses cohéritiers. En cas de désaccord, le tribunal peut lui-même être amené à trancher. Quant au régime fiscal, les droits de mutation dans le cas d'une succession mal préparée sont au maximum et peuvent grimper jusqu'à 40 % de la valeur des biens. Toutefois, la loi de finances 2000 ouvre de nouveaux horizons puisque sous certaines conditions, la moitié de la valeur de l'entreprise est soumise aux droits de succession. Pour cela, le chef d'entreprise doit souscrire un pacte visant à conserver au moins 34 % (25 % dans les sociétés cotées) des titres transmis pendant une durée minimale de 8 ans. Cet engagement doit être en cours de validité au moment du décès et s'applique ensuite aux héritiers pendant une nouvelle période de 8 ans.

A quel âge doit-on envisager une transmission ?
" Il faut commencer à s'en préoccuper dès l'âge de 45 ans" répond Me Ferret " de façon à ce que la transmission prenne vraiment effet vers 50 ans. Cela commence par un plan, un échelonnement et il est ensuite impératif de suivre le processus mis en place. Un passage souvent très difficile pour le chef d'entreprise tant sur la gestion de son patrimoine que sur l'approche psychologique. La première phase passe inévitablement par une réflexion pour savoir si la transmission familiale est préférable à la cession. C'est l'occasion de faire le bilan et, peut-être, de s'apercevoir que finalement les enfants ne souhaitent pas reprendre l'activité, ou que l'un des enfants est plus apte que les autres ... " Il arrive souvent qu'après cette période de réflexion et malgré ses premières convictions, le dirigeant se rende compte qu'il est préférable d'opter pour la vente " explique Me Ferret.

La valorisation de l'entreprise en question
Cette seconde phase se fait en relation avec l'expert-comptable, mais il faut savoir que plus on donne tôt et moins la valorisation de l'entreprise sera élevée.
Si la société est cotée (c'est assez rare), cela ne pose aucun problème car c'est la valeur des titres au jour de la mutation qui est prise en compte. Par contre cela révèle un peu du casse-tête pour les autres. Survalorisation en cas de vente, sous valorisation dans celui d'une transmission... les risques de tuer,
à terme, l'entreprise sont nombreux.

Réduction du coût fiscal assurée
Grâce aux vertus de la donation-partage, le chef d'entreprise peut, de son vivant, transmettre par avance ses actifs à ses héritiers. La valeur de l'entreprise est alors fixée le jour de la donation et celle-ci est ensuite irrévocable. En matière fiscale, les donations présentent de nombreux avantages. Elles autorisent à un abattement sur la valeur transmise de 300 000 F par enfant pouvant être renouvelé tous les dix ans. De plus, lorsque les donations sont réalisées avant 65 ans, les droits de mutation à titre gratuit sont réduits de 50 %. L'allégement est de 30 % si le donateur a entre 65 et 75 ans. Au delà, la réduction de 30% est accordée à titre transitoire jusqu'au mois de juillet 2001. En outre, le paiement des droits peut être fractionné et différé sur 15 ans avec un faible taux d'intérêt. Autre avantage du système : la possibilité pour le chef d'entreprise de pratiquer une "réserve d'usufruit" qui lui permet de toujours contrôler le pouvoir. La valeur de l'usufruit, d'autant plus élevée que le donateur est jeune, est déduite de celle de la pleine propriété. On le constate donc aisément, plus le chef d'entreprise anticipe, plus il réduit le coût fiscal. Mais bien que les transmissions familiales soient moins exposées au risque d'échec, une faillite sur dix résulte encore d'une succession mal préparée. Pourtant les enjeux sont considérables : assurer la pérennité de l'entreprise tout en protégeant son conjoint, sa famille et ses salariés.




Témoignage

Marc Sabaté, PDG du groupe Sabaté, deuxième producteur mondial de bouchons


Objectif L-R : Où en était la situation du groupe Sabaté au moment de la disparition de votre père, en 1998 ?

Marc Sabaté :
" Au moment du décès, nous étions sept à travailler à différents niveaux, entourés de cadres. Mon père et un de ses frères détenaient chacun un tiers des parts et le troisième un peu moins. La société Sabaté représentait alors 354 MF de CA et près de 400 salariés. "

Votre père avait-il préparé sa transmission ?

" Non, rien n'avait été préparé et le décès fut extrêmement brutal. J'étais alors aux commandes de la gestion opérationnelle du groupe. Néanmoins, une ligne stratégique avait déjà été actée et nous avons mis en place, au niveau du conseil de famille, ce qui avait été décidé pour plus tard : dans les jours qui ont suivi, j'ai pris le poste de PDG, entouré de mes oncles. Nous avons toujours eu un esprit de groupe très important. Il faut savoir que l'entreprise a été fondée par mon grand-père il y a 60 ans, puis reprise par mon père entouré de ses trois frères, avant que mon propre frère, mon cousin et moi-même ne fassions notre entrée dans la société (soit 3 générations. NDLR). Et aujourd'hui encore, la décision collégiale familiale reste fondamentale.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

" Etant donné que nous sommes côtés en bourse, il a fallu gérer un problème de liquidité. Heureusement, papa avait laissé du patrimoine liquide. Mais nous avons dû, mon frère, ma sSur et moi, mettre en place un système de portage pour assurer le paiement des droits de succession. Dans le respect de ce bloc familial, nous avons maintenu une norme consensuelle pour ne pas céder de titres sur le marché. Car le risque aurait pu être fort de casser la dynamique du groupe, et d'être contraint de le déstabiliser ou de diluer le capital familial. "

Quels enseignements tirez-vous de ces contraintes ?

" Nous sommes en train de monter un holding familial pour gérer le paiement des droits (qui sont étalés sur dix ans) et permettre l'organisation de la transmission de mes oncles. Ils ont tous deux entre 55 et 60 ans et ont vécu de façon cruelle l'expérience de leur frère. "